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thibault isabel

  • Pandémie: le prix d’un monde sans limites ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Thibault Isabel cueilli sur le site de L'Inactuelle et consacré à la pandémie de coronavirus. Docteur ès lettres, rédacteur en chef pendant plusieurs années de la revue Krisis, Thibault Isabel a publié plusieurs essais ou recueils d'articles comme Le champ des possibles (La Méduse, 2005), La fin de siècle du cinéma américain (La Méduse, 2006) , Le paradoxe de la civilisation (La Méduse, 2010), Pierre-Joseph Proudhon, l'anarchie sans le désordre (Autrement, 2017) et dernièrement Manuel de sagesse païenne (Le Passeur, 2020).

     

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    Pandémie: le prix d’un monde sans limites

    Le jeudi 27 février, alors que l’Italie s’apprêtait à décréter l’interdiction de tous les rassemblements publics et la fermeture de toutes ses écoles dans plusieurs régions, les autorités transalpines incitaient encore malgré tout les ressortissants étrangers à fréquenter sans crainte leur industrie touristique. En dépit de cinq-cents cas déjà déclarés d’infection au nouveau coronavirus, Luigi Di Maio déclarait avec aplomb : « Nos enfants vont à l’école. Si nos enfants vont à l’école, alors les touristes et les entrepreneurs peuvent également venir. » On connaît la suite.

    Il faut dire que le tourisme pèse 13% du PIB italien et que l’obsession contemporaine pour la croissance s’accommode mal d’un tel manque à gagner. Quand on est un homme d’Etat responsable, on se doit de préserver coûte que coûte l’économie. A quel prix, donc ? La contamination des touristes assez naïfs pour croire ce que les gouvernants leur racontent.

    De la crise sanitaire à la crise économique.

    En France, comme partout en Europe, l’attitude est sensiblement la même. Le plan de communication du gouvernement d’Edouard Philippe vise à souffler le chaud et le froid pour satisfaire ceux qui sont effrayés par la prolifération du virus autant que ceux qui font mine de continuer à vivre normalement. Mais, sur le fond, tout a été planifié d’abord pour limiter l’impact économique de la crise sanitaire. On laisse les frontières toutes grandes ouvertes, on tente même d’interdire le droit de retrait aux employés des secteurs non vitaux, comme le tourisme, et on limite les tests de dépistage afin de ne pas provoquer de « psychose ».

    Les personnels hospitaliers ont de quoi se plaindre : plusieurs d’entre eux ont été contaminés après avoir soigné des cas de pneumonie sans précaution, parce que la consigne avait été donnée en haut-lieu de ne pas dépister les patients tant que le virus ne circulait pas sur le territoire. Pourtant, il circulait. Tout circule dans une économie mondialisée de libre-échange.

    Il n’est pas question de sous-estimer l’impact économique potentiel du coronavirus. Quand on voit l’onde de choc planétaire que provoque le moindre ralentissement des flux dans une zone circonscrite du globe, on n’ose imaginer l’effet d’une paralysie massive de la production et de la consommation à l’échelle des cinq continents, pour une durée probable de plusieurs mois. La crise économique qui nous attend fera peut-être davantage de morts que le virus lui-même.

    Une maladie des flux.

    Reste qu’il est difficile de sacrifier l’endiguement de la crise sanitaire au nom du risque de crise économique. Selon les experts, si rien n’était fait pour contrôler la pandémie, elle pourrait toucher à terme entre 30% et 50% de la population mondiale. Avec un taux de létalité évalué à 2%, il serait pour le moins cynique de comparer la situation à une simple grippe. Les beaux esprits disent que le coronavirus touche en premier lieu les personnes âgées ou fragilisées, dont l’espérance de vie résiduelle est de toute façon faible. Mais nous parlons statistiquement ici d’au moins 50 millions d’êtres humains, comportant une proportion non négligeable d’individus en parfaite santé. La majeure partie d’entre eux ne seront sauvés que parce que les Etats ne restent pas sans rien faire, et parce que la Chine a eu le courage de sacrifier son économie pour mettre une province entière à l’arrêt.

    Le coronavirus est une maladie des flux. Le siècle qui vient de s’écouler a d’ailleurs connu davantage de pandémies que n’importe quel siècle passé. La peste noire du XIVe siècle fut sans doute déjà importée d’Orient par les Mongols à l’occasion d’importants mouvements de troupes, dans un contexte de guerres coloniales contre l’Empire génois, et donc dans le cadre d’un premier mouvement de mondialisation. La grippe espagnole de 1918-1919 fut elle aussi transportée par les armées en marche à la fin du premier conflit mondial de l’histoire de l’humanité. Il n’y a plus besoin de guerres aujourd’hui pour intensifier les risques de contamination ; le commerce s’en charge très bien, y compris en temps de paix militaire.

    Ici-bas, tout a toujours un prix. Tout excès conduit à une compensation mortifère dans le sens opposé. La mondialisation des échanges et la société d’hyper-communication aboutissent donc sporadiquement à des situations de crise où les échanges doivent brutalement s’interrompre pour rétablir l’équilibre. C’est ce que nous sommes en train de vivre. Le prix à payer de la mondialisation a pour nom « pandémie ». Celle que nous connaissons ne sera pas la dernière. Quand on constate les ravages causés par la variole jusqu’au XIXe siècle (30% de taux de létalité), imagine-t-on quel cataclysme provoquerait l’apparition d’une maladie du même genre à notre époque ?

    Les dangers d’une mondialisation sans limite.

    Il est devenu moins onéreux de faire fabriquer nos médicaments en Chine plutôt qu’en France, et de voyager à l’autre bout de la planète plutôt qu’à deux cents kilomètres de chez nous. L’écosystème n’est pas fait pour soutenir une telle intensité de déplacements. Les conséquences s’en font sentir en termes de pollution atmosphérique, mais aussi en termes viraux – et même à vrai dire en termes de déséquilibres économiques, sociaux, culturels. L’humain est devenu un animal hors de contrôle, un animal parasitaire, pour la simple raison qu’il n’est plus encastré dans un milieu, mais qu’il s’affranchit de toute forme de limites. Le fantasme du progrès illimité et de la croissance folle est en train de nous conduire dans un abîme, sous l’effet d’un vaste mouvement de régulation naturelle qui tentera de compenser notre prolifération déraisonnable. La nature n’est pas toute-puissante face à la démesure humaine, mais elle a des moyens pour se défendre. Le premier coup de semonce vient de nous être envoyé.

    L’entendrons-nous ? Rien n’est moins sûr. Il est plaisant d’acheter ses médicaments à bon marché – sans se soucier des conditions de travail des Chinois – ou de participer tous les ans au carnaval de Venise. C’est une belle vie, dont nous aurons tous du mal à nous priver. Mais nos aïeux n’étaient pas malheureux pour autant. L’heure est venue de faire la part des choses entre les progrès techniques réellement utiles au bonheur de l’humanité – il y en a beaucoup – et ceux futiles dont nous pourrions nous passer.

    Vers un retour de l’ordre naturel.

    Dans ce monde de flux illimités, de communications permanentes et d’échanges généralisés, les pandémies nous obligent, l’espace de quelques mois, à vivre dans la distance, le confinement et la solitude. Nous subissons un mouvement de balancier en sens inverse, donc. Mais qui peut dire que ce n’est pas au fond notre lot quotidien ? Bien que les sociétés modernes laissent tout circuler, l’anonymat urbain n’a jamais été aussi grand. Bien que nos smartphones nous connectent avec le monde, nous ne savons plus comment s’appelle notre voisin. La pandémie ne fait que révéler l’envers des temps modernes : l’isolement. Le juste milieu implique que nous rapprenions le sens du voisinage. L’économie en circuit court, la vie citoyenne locale, l’action associative, l’enracinement familial : ces valeurs nous protègent de l’anonymat, tout en nous dissuadant de céder aux chimères d’un monde sans limites.

    De tout temps, c’est vrai, les hommes ont voyagé. Le voyage n’en était pas moins autrefois un long chemin initiatique à travers le monde, réservé aux plus curieux d’entre nous. Lorsqu’on inventa les congés payés, avant-guerre, on n’avait pas en tête de faire exploser son empreinte carbone en trajets aériens low-cost. Quelle diversité de paysages avons-nous encore à découvrir, quand nous sommes parqués dans des clubs de vacances en Egypte ou des paquebots au large de San Francisco et du Japon ?

    Nous avons voulu la mondialisation ; nous avons eu en même temps l’individualisme, le réchauffement climatique, le dumping social, la standardisation culturelle, le mercantilisme, la guerre pour les parts de marché, le terrorisme, l’élevage industriel ou la dévastation des sols surexploités – et nous avons maintenant aussi le SARS-CoV-2. Cette cure forcée de quarantaine va nous contraindre à méditer, comme des moines en ascèse, sur le monde que nous sommes en train de créer. Dans des conditions dramatiques, malheureusement. Malgré les mesures prophylactiques et les progrès de la technique médicale, nous allons perdre des proches. Certains d’entre nous ne serons plus là pour tirer le bilan, qui devrait pourtant d’ores et déjà couler de source. Tout a une logique. L’ordre naturel des choses finit par reprendre ses droits. Et il y a toujours un prix à payer.

    Thibault Isabel (L'Inactuelle, 9 mars 2020)

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  • Manuel de sagesse païenne...

    Les éditions Le Passeur viennent de publier un essai de Thibault Isabel intitulé Manuel de sagesse païenne. Docteur ès lettres, rédacteur en chef pendant plusieurs années de la revue Krisis, Thibault Isabel a publié plusieurs essais ou recueils d'articles comme Le champ des possibles (La Méduse, 2005), La fin de siècle du cinéma américain (La Méduse, 2006) , Le paradoxe de la civilisation (La Méduse, 2010) ou Pierre-Joseph Proudhon, l'anarchie sans le désordre (Autrement, 2017).

     

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    " Comment bien conduire son existence ? Cette question se pose d'autant plus aujourd'hui que la société européenne n'est plus organisée autour d'un ensemble de dogmes religieux. Sans doute y avons-nous gagné en liberté ; mais cela nous oblige aussi à explorer de nouvelles voies spirituelles et morales pour redonner un sens à notre vie.
    Les sagesses antiques peuvent nous servir de guide. Que ce soit en Grèce, à Rome ou en Chine, les philosophes nous ont appris à vivre en harmonie avec le cosmos, avec les autres et avec nous-mêmes, afin d'établir l'équilibre qui nous permettra d'accéder au souverain bien : le bonheur.
    Dans un style vivant, Thibault Isabel montre de quelle façon Héraclite, Confucius, Plutarque et leurs contemporains pourraient nous aider à rebâtir une nouvelle conception de la spiritualité. En remontant le fil de notre histoire, nous découvrirons la clé d'un monde où l'esprit ne dominait pas encore la chair, et où la culture ne dominait pas encore la nature.
    Il s'agit alors de remettre au centre de nos existences l'écologie, la réhabilitation du corps, de la beauté et des plaisirs charnels ; le développement d'une morale qui ne soit pas fondée sur le péché ; le rapport à la vie et à la mort ; l'importance de l'éducation et de la culture ; la promotion des valeurs féminines dans la société et la réhabilitation du culte de la Déesse-Mère et enfin l'adoration mystique du monde dans sa sacralité. "

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  • Chesterton et la marchandisation du monde...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Camille Dalmas à L'Inactuelle à propos de l'écrivain G. K. Chesterton et de son opposition à la marchandisation du monde. Journaliste, co-fondateur de la revue Limite, Camille Dalmas vient de publier Le paradoxe G.K. Chesterton (L'Escargot, 2019). On notera que les éditions L'Homme nouveau viennent de publier un recueil de textes de Chesterton intitulé Plaidoyer pour une propriété anticapitaliste.

     

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    Camille Dalmas “Chesterton et la marchandisation du monde”

    Thibault Isabel : Dans votre ouvrage remarquable, qui brille à la fois par sa clarté, sa qualité littéraire et une finesse devenue rare, vous montrez de quelle façon l’âme poétique de Chesterton chercha une troisième voie pour échapper aux ravages de la société marchande autant qu’à ceux du nationalisme et du collectivisme. D’où provenait le distributisme cher à Chesterton ? Fut-il à proprement parler l’inventeur de cette doctrine, si tant est d’ailleurs que le terme de « doctrine » puisse s’appliquer ici ?

    Camille Dalmas : Je ne parlerais pas tant de doctrine – le courant n’a en effet pas été assez structuré pour cela –, mais plutôt de courant de pensée, ou, mieux encore, de « bannière » distributiste. Sous celle-ci se sont placés quelques grands hommes notables, mais c’est bien Chesterton qui en a vaillamment tenu la hampe pendant une trentaine d’années. Reste que le distributisme n’est pas Chesterton seul, et que ce n’est du moins pas lui qui en est le premier défenseur.

    Trois facteurs principaux expliquent l’invention du distributisme. D’abord, la coagulation de nombreux courants intellectuels anglais à la fin du XIXe siècle. Ensuite, la grande crise post-victorienne qui bouleversa toute la société anglaise et permit de voir foisonner les alternatives, dont le distributisme est la version la plus réussie à mon avis. Enfin, c’est bien entendu l’histoire de la rencontre d’intellectuels de premier plan dont le dénommé Gilbert Keith Chesterton est le plus illustre.

    Le XIXe siècle est un grand siècle de réflexion en Angleterre. A gauche d’abord, avec l’apparition d’une myriade de propositions marxistes ou socialistes. Mais on a tendance à oublier que lui préexiste une critique de la société victorienne émanant d’un milieu radical parfois bien plus conservateur, mais opposé aux Whigs, dans lequel on pourrait mettre l’écrivain William Cobbett ou le très patriote Charles Dickens. D’où l’orientation souvent déroutante de la réflexion politique alternative en Angleterre : le socialisme médiéval de Morris ou le socialisme esthétique chrétien de Ruskin jurent avec la doxa marxiste et vont permettre la naissance du distributisme. Ces mouvements posent déjà les questions auxquelles la bannière distributive va se charger de répondre : Que faire de la propriété ? Quelle place donner à l’Etat ? Quelles structures pour les personnes dans un modèle de société plus juste ? etc. A cela s’ajoute l’importance pour l’Angleterre de la question « religion-société », avec notamment les réflexions du cardinal Manning.

    Thibault Isabel : Le distributisme se trouvait en fait confronté à une situation très tendue socialement, à l’époque où les ravages de la société industrielle creusaient drastiquement les inégalités. La pensée politique de Chesterton et de ses amis est-elle en somme une réaction aux injustices de la société victorienne et post-victorienne ?

    Camille Dalmas : Cette réflexion va en effet devoir s’accélérer à l’aube du XXe siècle, avec l’intensification des problèmes propres à la société industrielle qu’est l’Angleterre. A une crise sociale s’ajoute une crise géopolitique, correspondant à l’apogée de l’aventure coloniale (et donc au début de sa remise en question), couplée à une crise spirituelle-sociale consécutive à la désagrégation de l’Eglise populaire, la « Low Church », qui coupe chaque jour la société en deux. Enfin, un scientisme de plus en plus radical guide le politique. Le distributisme est d’abord une tentative de contrer cette désagrégation générale.

    Et c’est dans ce contexte qu’un certain Chesterton va inventer le mot, et donc le courant à proprement parler. Il ne s’agit pas en fait de Gilbert Keith, mais de son petit frère Cecil, beaucoup moins connu. Avec un père dominicain nommé Vincent McNabb, ils profitent de l’atmosphère tapageuse d’un cercle intellectuel socialiste, les « Fabians », pour développer une alternative au capitalisme triomphant des conservateurs et de leurs alliés modérés, mais aussi aux propositions liberticides ou totalitaires de la gauche. Chesterton prendra plus tard le relais de son frère à la mort de ce dernier, pendant la Première guerre mondiale. Il profitera pour cela de l’appui d’un certain nombre de prêtres anglais et irlandais, et surtout de son ami Hilaire Belloc, penseur de l’Etat servile, son grand essai dont on attend encore la traduction en français.

    Thibault Isabel : Chesterton fut à la fois un fervent démocrate et un adversaire du capitalisme. Or, depuis Marx, nous tendons à considérer que le capitalisme ne peut être vaincu que par l’Etat – fût-il « transitoire » dans sa dictature. Chesterton ne l’entendait pas de cette oreille ; il écrivait : « Le problème du communisme est qu’il tente de s’opposer au pickpocket en interdisant les poches. » Autrement dit, notre auteur ne dénigrait pas la propriété privée, mais entendait au contraire s’en servir comme d’un socle pour rétablir une société plus locale, plus solidaire, fondée sur l’association, la coopération, etc. Cela place Chesterton dans une lignée qui me paraît très proche du mutuellisme de Pierre-Joseph Proudhon ou du convivialisme d’Ivan Illich, d’autant que l’Anglais ne prisait pas plus qu’eux le compromis social-démocrate, qui consiste le plus souvent à conjuguer les tares du capitalisme (la compétition à outrance) avec les tares du communisme (l’étatisme et la bureaucratie). Seriez-vous d’accord pour dire que Chesterton fut d’abord un amoureux des petits espaces et des libertés concrètes contre le gigantisme prométhéen et technocratique du monde moderne ?

    Camille Dalmas : Vous avez en tout point raison. Chesterton, s’il avait lu Proudhon, aurait sans nul doute été très étonné de trouver là bien des pans de sa réflexion déjà mûris. Et la pensée d’Illich est aussi par bien des aspects voisine de celle de Chesterton. La diversité des dénominations – convivialisme, distributisme, mutualisme – me semble être d’abord l’expression de sensibilités différentes, plus que d’importantes oppositions d’idées. Chesterton envisageait lui-même cette diversité au sein du distributisme comme une richesse qu’il fallait encourager : « De même que, dans la société médiévale, il y avait des paysans, des monastères, des terres communales, des terres privées, des guildes et des corporations, de même dans mon Etat moderne y aurait-il certains biens nationalisés, certaines guildes, aux profits communs ainsi que de nombreux propriétaires individuels là où il y est le plus souhaitable d’en avoir ».

    L’essentiel pour lui était de s’opposer le plus librement possible au diptyque Etat-multinationales qui gouverne nos sociétés aujourd’hui. Voilà le véritable Léviathan qu’il faut terrasser.

    De Proudhon à Illich, en passant par Chesterton ou Orwell, on retrouve une classe d’intellectuels qui ont toujours regardé avec la plus grande prudence tous les projets strictement utopistes, et avec beaucoup d’affection les petites recettes simples qui conviennent aux situations locales qu’ils connaissaient, que ce soient les ouvriers de Wigan pour Orwell ou les petits commerçants de Londres pour Chesterton. Cela exclut nécessairement toute solution politique strictement universaliste.

    C’est pourquoi faire de Chesterton un « amoureux des petits espaces » est on ne peut plus pertinent. Chesterton aimait en poésie comme en politique les « petites choses formidables » ; et donc les petites propriétés, les petits commerces, les petites guildes, les petits syndicats…

    Thibault Isabel : Jusqu’à quel point cet aspect de la pensée chestertonienne fut-il influencé par la doctrine sociale de l’Eglise ?

    Camille Dalmas : La paroisse, le quartier, le village, le « pays », à partir du moment où ils sont pensés comme plus petit dénominateur commun, sont toujours l’échelle adaptée pour envisager en premier lieu une action commune. C’est bien entendu le fondement du principe de subsidiarité catholique, cœur de la doctrine sociale de l’Eglise, et Chesterton est allé abondamment s’inspirer du texte de Léon XIII.

    Il faut noter que c’est un texte qui avait une résonance toute particulière en Angleterre, puisque le principal instigateur du texte au Vatican était le cardinal Manning, le cardinal des dockers de Londres. Mais ce n’est pas la seule source d’inspiration de Chesterton, qui a abondamment puisé dans l’histoire pour trouver des solutions adaptées. Que ce soit dans la Rome républicaine avec ses amis Fabiens, ou, bien entendu, dans la « merry England » (Joyeuse Angleterre) du XIVe siècle anglais.

    Thibault Isabel : En définitive, Chesterton aura-t-il été un homme de gauche ou de droite ? Un progressiste ou un traditionaliste ? Est-il seulement possible de l’étiqueter ?

    Camille Dalmas : Il est aujourd’hui considéré comme de droite par l’idéologue de gauche, et comme de gauche par l’intransigeant libéral. Mais cette dichotomie gauche-droite ne lui rend vraiment pas honneur. Ces jugements sont même signe d’une absence totale de connaissance de l’homme et de son œuvre.

    Chesterton n’est pas progressiste : il honnit le principe même de progrès. Mais il n’est pas pour autant un pur traditionaliste, car il considère qu’une tradition peut évoluer quand bien même il est indispensable de la comprendre en profondeur pour envisager de la dépasser ; il n’est pas non plus un pur conservateur, car pour lui c’est là le masque d’un progressisme timoré qui ne veut pas corriger les erreurs du progressiste exalté ; et, enfin, il n’est pas un pur réactionnaire, car les âges d’or qu’il admire sont seulement une source d’inspiration, pas un horizon utopique.

    Thibault Isabel : Au XIXe siècle, de nombreux socialistes, en dépit de leur anticapitalisme et de leur opposition au système marchand industriel, se référaient abondamment aux principes de la philosophie politique libérale : c’était le cas de Proudhon, que nous avons déjà cité, mais aussi en Grande-Bretagne de John Stuart Mill, dont on ne sait d’ailleurs jamais s’il faut le considérer comme un libéral ou un socialiste. Chesterton affichait lui aussi une certaine ambiguïté lorsqu’il évoquait le libéralisme… Mais quel sens donner au mot « libéral » dans la bouche de cet auteur ? Comment conciliait-il son libéralisme avec l’idéal distributiste ?

    Camille Dalmas : Le paradoxe politique le plus amusant en ce qui concerne Chesterton est qu’il se décrivait lui-même comme un « libéral radical ». Ce qui aujourd’hui pourrait, pour de nombreuses oreilles, signifier l’exact inverse de ce qu’il entendait.

    Récemment, Emmanuel Macron a ainsi cru bon de citer un extrait d’Orthodoxie devant un parterre de banquiers de la City : « Le monde s’est divisé entre conservateurs et progressistes. L’affaire des progressistes est de continuer à commettre des erreurs. L’affaire des conservateurs est d’éviter que les erreurs ne soient corrigées. » L’actuel président avait conclu quelque chose comme : « Vous savez quel camp je compte choisir. » Un contresens magnifique !

    Chesterton refuse bien sûr de penser le monde sous ce simple prisme. Il est libéral parce qu’il s’oppose à la collusion Etat-Capital au nom de la liberté de la personne à former des petits groupes pour vivre heureux. Et il est radical parce qu’il sait que, pour cela, il ne suffit pas de laisser faire ou de libéraliser, mais bien plutôt d’aller chercher à la racine des maux.

    Thibault Isabel : Les idées politiques de Chesterton s’appuyaient d’abord sur une morale, au sens d’un investissement structuré du monde et d’une sagesse de vie. Là où nous tendons trop souvent aujourd’hui à ramener la littérature et la culture dans le champ de la politique, ne peut-on pas dire en cela que Chesterton ramena la politique dans le champ de la poésie ?

    Camille Dalmas : Comme souvent, Chesterton prend les choses à rebours. Comme je l’explique dans mon livre, c’est bien en tant que poète qu’il se trouve politiquement engagé. C’est pour la poésie qu’il combat. La poésie, et plus largement la littérature, est ce qui pour G.K. Chesterton nous donne « une demeure et un nom ». La poésie est le langage premier, essentiel, instinctif de l’être humain, ce qui le distingue et l’élève. Elle est ce qui dit le plus profondément et le plus authentiquement la réalité de notre monde.

    Dès lors, toute action de l’homme se doit pour lui de défendre cette origine poétique, au nom d’une quête supérieure, d’un Graal qui n’est autre que la raison de notre existence sur cette terre. On est embarqué, pour reprendre le mot de Camus, non pas dans la contingence des combats politiques, mais dans cette merveille qu’est le monde et qu’il nous faut défendre. Tout combat politique pour Chesterton doit prendre en compte cette question de notre essence.

    Thibault Isabel : Avant de se convertir au christianisme, Chesterton s’intéressa à une foule de spiritualités exotiques ou anciennes, à l’ésotérisme, etc. J’ai le sentiment que sa pensée a toujours conservé cette empreinte comme un signe indélébile, et que son christianisme n’a fait que se surajouter à son goût de jeunesse pour les vielles cultures païennes – un peu comme dans l’œuvre de J.R.R. Tolkien, d’ailleurs. Son sens du paradoxe est typiquement païen, tout comme son refus du scientisme – car l’hyper-rationalité reste aveugle à la complexité organique du monde, que seule la sensibilité perçoit avec nuance. Il y a aussi chez Chesterton, en filigrane, une véritable apologie aristotélicienne du juste milieu, qui implique de saisir le monde dans son intégralité au lieu de le réduire à des interprétations sommaires et trop simples, unilatérales. Le fait que Chesterton ait consacré des monographies à saint François d’Assise et à saint Thomas d’Aquin, qui sont peut-être les deux théologiens chrétiens les plus redevables aux sagesses antiques, en atteste sans doute en partie. Chesterton était-il donc, a posteriori, le chaînon manquant entre le paganisme et le christianisme, ce qui expliquerait qu’un païen tel que moi puisse l’aimer autant qu’un chrétien de stricte obédience ?

    Camille Dalmas : Cela ne m’étonne guère ! Néanmoins, quand Chesterton fait référence à ses années d’ésotérisme dans son Autobiographie, c’est d’abord pour décrire des années d’errance. Il regarde d’ailleurs avec effroi certaines de ces expériences. Faire de Chesterton un crypto-païen sur ces bases – ce que ne vous faites pas – est bien entendu un contresens.

    En revanche, je dirai que, bien plus que sa jeunesse, c’est son enfance, dont il ne parle que très peu, qui est probablement ce monde magique, cette féerie qui l’unit tant à Tolkien et qui donne cette teinte si « originelle » à son œuvre.

    Tolkien écrivait pour ses enfants, il ne faut jamais l’oublier. C’était pour lui comme s’il pouvait leur parler dans une langue qu’eux seuls étaient capables de comprendre. Toute personne qui a encore cette étincelle d’enfance en lui comprend de quoi nous parlons. Chesterton, grand défenseur de l’enfance, évoquait quant à lui cet âge comme une période « lumineuse » de son existence.

    Le paradoxe – spécialité chrétienne au moins autant que païenne – est que c’est en tant que pieux chrétien que Chesterton est paradoxalement un véritable païen. Comme il l’explique très bien lui-même dans Hérétiques : « La Révolution française est d’origine chrétienne. Le journal est d’origine chrétienne. Les anarchistes sont d’origine chrétienne. La science physique est d’origine chrétienne. Les attaques contre le Christianisme sont d’origine chrétienne. Il y a une seule chose, une seule existant de nos jours, dont on puisse dire en toute vérité qu’elle est d’origine païenne, et c’est le christianisme, parce que son fondateur procède de l’éternité du Père, et qu’il est né dans le temps d’une Femme. »

    Thibault Isabel : Il est évident que l’histoire spirituelle de l’Europe s’est faite à travers une évolution progressive plus que par ruptures : l’Antiquité tardive autant que le Moyen Age illustrent à quel point les passerelles furent nombreuses entre paganisme et christianisme, malgré des divergences théologiques tout aussi indéniables. En quoi le christianisme était-il d’origine païenne, pour Chesterton ?

    Camille Dalmas : Chesterton affirme que la force du christianisme, sa grande supériorité sur les autres religions, est qu’elle n’a pas fermé la porte de l’époque païenne pour bâtir une cathédrale nouvelle. Elle est partie des solides ruines des temples anciens, elle a respecté les sagesses antiques d’Aristote avec Thomas et de Platon et Plotin avec Augustin en les intégrant directement à son édifice. Elle a repris des institutions pleines de sagesses telle que la chasteté de certains clercs ou tout simplement les rites du mariage.

    Evidemment, la condition de cette appropriation totale était la non-contradiction de ces traditions avec les dogmes élémentaires transmis par Dieu. Un tri a bien entendu été fait, toute la sagesse antique n’est pas du proto-christianisme. Ont été expurgés et combattus notamment toutes les sagesses qui renvoyaient à la pratique du bouc émissaire, comme l’a expliqué René Girard, parce que le sacrifice du Christ rend tout nouveau sacrifice inutile. C’est le sens profond de l’eucharistie. Il ne faut donc pas comprendre la chose à l’envers. Chesterton n’aurait pas donné une seconde du crédit aux théories farfelues qui font de Jésus un nouveau Dionysos. Mais il aimait que le Seigneur soit célébré au milieu des esprits amicaux de la forêt, comme Saint François frayant avec son ami loup et parlant aux arbres dans les collines d’Assise.

    L’Eglise a toujours eu conscience de ce lien, et a parfois été tentée de l’occulter. Souvent parce qu’elle avait encore à combattre contre des nations païennes, et que son origine paradoxale peut être mal comprise. Cependant, et Chesterton le rappelle, il arrive que les « vertus chrétiennes » deviennent « folles », au point de nier les vérités les plus élémentaires, celles que les païens tenaient pour acquis.

    Cependant, Chesterton rappelle que l’Eglise n’a jamais rompu ce lien avec son origine païenne. Un exemple d’actualité brûlante me semble très bien exprimer cette complexité structurelle de l’Eglise. En ce moment se tient le Synode sur l’Amazonie à Rome, qui a pour but de faciliter l’évangélisation dans cette partie du monde à l’époque où les missionnaires ne sont plus assez nombreux. Que fait dès lors l’Eglise ? Elle propose de s’appuyer sur les « viri probati », les hommes probes, des personnalités locales reconnues pour leur supériorité spirituelle par les populations locales. Certains sont un peu sorciers, un peu chamans, mais tous veulent surtout être chrétiens, et c’est dans ce sens que le Vatican se propose de les ordonner prêtres. Les réflexions actuelles de l’Église sur l’écologie vont aussi dans ce sens : retrouver l’équilibre entre les dogmes et les sagesses locales qui font grandir harmonieusement les nations. C’est le tout du christianisme de Chesterton, et cela me semble être le tout du christianisme tout simplement.

    Camille Dalmas, propos recueillis par Thibault Isabel (L'Inactuelle, 26 octobre 2019)

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  • “Les populismes actuels ne sont pas sortis de nulle part”...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien avec Olivier Dard, publié par L'Inactuelle et consacré à la question du populisme. Professeur d'histoire contemporaine à l'université Paul Verlaine de Metz, Olivier Dard est l'auteur de nombreux ouvrages sur l'histoire des idées politiques. Il a également coordonné, avec Frédéric Rouvillois et Christophe Boutin, le Dictionnaire du conservatisme (Cerf, 2017) et le Dictionnaire des populismes (Cerf, 2019).

     

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    Olivier Dard “Les populismes actuels ne sont pas sortis de nulle part”

    Thibault Isabel : On parle souvent du populisme au singulier, alors que vous avez choisi d’intituler cet ouvrage « Dictionnaire des populismes », au pluriel. Vous attestez ainsi de la diversité du phénomène populiste, qui peut être de gauche ou de droite, libéral ou antilibéral, souverainiste ou fédéraliste, etc. Ce vocable de « populisme », malgré la pluralité de ses acceptions, a-t-il malgré tout une cohérence intrinsèque ? Quelle serait pour vous, si elle existe, l’essence du populisme ?

    Olivier Dard : Vous avez à raison évoqué la diversité du phénomène populiste, diversité qui renvoie à des catégories politiques et idéologiques. J’ajouterais cependant que comprendre le phénomène populiste signifie mesurer à quel point il doit être inscrit dans l’histoire. Vous connaissez la formule d’Angelo Tasca reprise à son compte par Renzo de Felice à propos du fascisme, disant que définir le fascisme c’est en écrire l’histoire.

    L’historien que je suis peine un peu avec la question de l’essence du populisme, mais se sent parfaitement à l’aise pour vous dire que les populismes actuels ne sont pas sortis de nulle part et que la connaissance générale de l’histoire des populismes a beaucoup à nous apprendre sur les mouvements populistes d’aujourd’hui. Nous ne referons pas ici une généalogie qui commence avec le populisme russe du XIXe siècle que vous connaissez bien et qui s’ancre, comme le populisme américain d’alors, dans le monde rural et paysan. Ce rappel est pourtant important, tant on associe désormais le populisme au monde citadin, en négligeant cette ruralité essentielle qui n’a pas été oubliée aux Etats-Unis, notamment par Christopher Lasch. A l’inverse, ce qu’on appelle le populisme post-soviétique a bien peu à voir avec son devancier du XIXe siècle.

    Evoquer les populismes contemporains impose aussi d’insister sur le cas latino-américain, qui pourrait être considéré comme le berceau de bien des populismes actuels : songeons au Mexique de Lázaro Cárdenas, à l’Argentine du ou plutôt des couples Perón ou encore au Brésil de Getulio Vargas. Ces différentes figures et expériences politiques, car en Amérique latine le populisme s’incarna dans des régimes politiques, mettent en jeu des processus très contemporains : une opposition marquée entre l’élite (en langage péroniste l’« oligarchie ») et les masses, ou l’affirmation du rôle d’un dirigeant charismatique qui n’est pas nécessairement un homme, puisque le péronisme, avec Eva ou Isabel, nous a montré que le populisme se conjuguait au féminin. Mais aussi un recours appuyé aux moyens de communication les plus modernes qui sont à l’époque la radio et le cinéma : sans le son et l’image, le péronisme incarné notamment par la voix d’Evita et l’usage qu’elle fait de son propre corps (coiffure, habillement, position face au micro, etc.) aurait pris un tour sans doute bien différent et moins marquant.

    Ajoutons encore que c’est en référence à ce populisme historique qu’il est difficile d’amalgamer des expériences considérées aujourd’hui comme populistes à certaines de leurs devancières. Quel sens y a-t-il par exemple à qualifier Bolsonaro de populiste quand on songe que le populisme s’est incarné au Brésil dans le gétulisme ? Les différences entre les deux personnages et les projets conduits sont très nombreuses, à commencer par une relation bien distincte au modèle économique et social libéral, combattu par Vargas quand Bolsonaro défend au contraire le néo-libéralisme actuel.

    Je conçois bien que l’énumération de ces différents exemples contrarie toute démarche d’homogénéisation du populisme (d’où le pluriel retenu pour le titre, qui n’est nullement une commodité de style), mais elle a le mérite de montrer à quel point le phénomène populiste doit être historicisé. Cependant, cette remise en perspective historique ne signifie pas pour autant que toute démarche comparative est inutile. Car, à y regarder de près, ces populismes présentent un certain nombre de traits communs. Le premier est assurément celui d’un style d’expression et de gouvernement qui tranche avec celui des élites en place. Le second, même s’il se décline différemment selon les contextes, est bien celui d’une fracture quand ce n’est une rupture entre élite/s et peuple.

    Thibault Isabel : Le populisme, comme son nom l’indique, s’appuie structurellement sur l’antagonisme entre le peuple et les élites. On pourrait y voir une réactivation de la lutte des classes. Ce serait oublier pourtant que le mot « peuple » se laisse définir de bien des façons, et qu’on peut s’en faire une idée sociale aussi bien qu’identitaire ou strictement politique. Le peuple de Bernie Sanders ou de Jean-Luc Mélenchon n’est sans doute pas le même que celui de Donald Trump ou de Marine Le Pen. Qu’est-ce qui, à votre sens, explique malgré tout que la révolte du peuple contre les élites prenne aujourd’hui une importance aussi transversale ? Pourquoi le peuple redevient-il en somme au XXIe siècle un mot d’ordre politique dans des camps par ailleurs très opposés ?

    Olivier Dard : Je note avec intérêt les mots que vous employez : « peuple », « élites », « lutte des classes ». J’en ajouterai un quatrième, fondamental à mon sens, qui est celui de « masses ». Il n’est guère beaucoup employé aujourd’hui, ce qui est un marqueur instructif de notre temps et de notre appréhension du phénomène populiste. Il apparaît clairement en effet qu’au XXe siècle, le populisme, au moins dans ses déclinaisons latino-américaines, se pense et se vit comme un moyen d’intégration des masses en faisant le procès d’un libéralisme et d’une « oligarchie » qui auraient été incapables de mener cette intégration à bien. Pour le dire autrement, le populisme se pense comme un projet collectif.

    Est-ce autant le cas avec les populismes contemporains ? Cela n’est pas aussi évident, même si nombre de populistes d’aujourd’hui, de Marine Le Pen à Matteo Salvini, mettent en avant la nation. La nation, mais aussi le peuple, dont vous rappelez à raison qu’il se définit bien différemment selon les protagonistes. Pour se limiter à la France, le « peuple central » de Marine Le Pen n’est pas celui des Insoumis, qui ont d’ailleurs beaucoup emprunté aux références latino-américaines actuelles en mobilisant la figure d’Ernesto Laclau. Le « peuple » de Trump n’est évidemment pas non plus celui de Sanders. Tous ces dirigeants politiques présentent quant à leur définition du peuple des divergences certaines qui peuvent faire parler pour les uns d’un populisme de « droite » en ce sens qu’ils privilégient dans le peuple l’ethnos, référence qu’un populisme de « gauche » rejette au profit d’un peuple envisagé à la fois comme une plebs, mais aussi comme un objet à construire.

    Ces divergences repérables n’empêchent pas de noter leur rejet commun des élites en place. Cette dénonciation comme cette délégitimation des élites, leitmotiv des discours populistes qui peut prendre la forme d’un « dégagisme » assumé (« Qu’ils s’en aillent tous » proclamait Jean-Luc Mélenchon), est un élément partagé des dirigeants comme des mouvements populistes et de leurs électeurs.

    La fracture entre peuple et élites est profonde et, pour ce qui est de la France, la sociologie comme la géographie électorale du macronisme en sont une illustration bien parlante. On doit y voir un indicateur fondamental de l’état de délitement de nos sociétés, sur lequel les élites au pouvoir gagneraient à s’interroger au lieu de se contenter de hurler au loup, d’anathémiser et de pathologiser leurs adversaires, en usant parfois même d’un vocabulaire épidémiologique (Emmanuel Macron proclamait à Quimper le 21 juin 2018 qu’on les voyait « monter comme une lèpre, un peu partout en Europe »).

    Thibault Isabel : Quoique le « populisme » jouisse désormais d’une fortune médiatique considérable, il puise ses racines dans des mouvements plus anciens, qui remontent au XIXe siècle. En Russie, par exemple, le populisme incarnait une résistance socialiste plus ou moins anarchisante à l’essor du capitalisme, même si l’on voyait déjà naître ailleurs des mouvements populistes d’inspiration plus autoritaire et nationaliste, comme le boulangisme, en France. En tant qu’historien des idées, avez-vous le sentiment qu’il existe une filiation historique réelle entre les premiers populismes et ceux d’aujourd’hui – comme il existe malgré tout une filiation entre le socialisme ancien et le socialisme moderne, par-delà les évolutions de ce courant de pensée –, ou s’agit-il plutôt de la simple réactivation d’un « appel au peuple » qui négligerait totalement l’apport idéologique ou politique de ses prédécesseurs ?

    Olivier Dard : La réponse est délicate tant les contextes sont différents. On pourrait ainsi mettre en regard le boulangisme et le Front national devenu Rassemblement national. Assurément, le nationalisme né de la crise boulangiste a irrigué l’histoire des droites nationalistes françaises, marqué leur dimension protestataire et ligueuse dont on retrouve des échos dans l’itinéraire de Jean-Marie Le Pen plus encore que dans celui de sa fille, qui n’est pas le produit de cette histoire, alors que Jean-Marie Le Pen est sans doute le dernier héritier des ligueurs nationalistes. Mais on prendra garde à ne pas comparer trop facilement les deux phénomènes, en commençant par constater que le boulangisme a été un feu de paille électoral en 1888-1889, tandis que le FN/RN a pour la première fois pérennisé la présence des droites nationalistes au cœur du jeu électoral.

    Rapportée à une perspective plus surplombante, votre question met cependant fort utilement en miroir, à travers les exemples que vous mentionnez, le dernier quart du XIXe siècle et notre époque, ce qui change du parallèle rebattu, et souvent bien inopérant, avec les années 1930.

    J’ajouterai que la question de l’intégration des masses peut fonder une réflexion instructive. A la fin du XIXe siècle, en Europe occidentale comme aux Etats-Unis, elle est une question alors fondamentale et passe, pour les dirigeants en place, par une extension progressive du droit de suffrage masculin. Il est ainsi frappant de constater (la Russie elle-même n’y échappe pas après la Révolution de 1905) que l’extension du droit de suffrage est considérée comme une réponse à ce problème et qu’elle contribue, à des degrés variables selon les cas, à une intégration effective.

    La Première Guerre mondiale a rebattu les cartes, mais on rappellera que, partout, la mobilisation de l’été 1914 s’est déroulée sans heurts : la nationalisation des masses était une réalité. Aujourd’hui, le droit de suffrage existe, s’est même élargi depuis longtemps aux femmes mais aussi aux plus jeunes (avec le vote à 18 ans), mais il n’est pas forcément utilisé, si on songe à l’importance de l’abstention. Ajoutons aussi que la forme de démocratie qui a cours dans les pays occidentaux, la démocratie représentative, est elle-même mise à mal par les populistes qui, partisans d’une démocratie directe, se targuent d’être au fond plus démocrates que les dirigeants en place. Si on revient sur l’épisode boulangiste, on retrouvera l’opposition des plébiscitaires aux tenants de la République parlementaire.

    Comme vous le voyez, ce débat sur les fondements de la démocratie n’a rien de nouveau, ce qui peut à l’évidence rattacher les revendications populistes à un héritage bien ancien. Toute la difficulté est d’en prendre la mesure. Est-il véritablement connu des acteurs ? Le danger pour l’historien des idées serait de projeter ses propres connaissances et catégories d’analyses sur le très contemporain et de vouloir à toute force mettre en avant des convergences qui ne seraient qu’artificielles. Nous y avons veillé dans ce Dictionnaire tout en ayant le souci de faire saisir à nos lecteurs qu’il faudrait tout autant se défier de raccourcis ou d’amalgames historiques rapides que de vouloir considérer que le phénomène populiste contemporain serait fondamentalement nouveau. C’est à bien des égards le contraire, tant il invite à revisiter des questions aussi essentielles qu’anciennes en philosophie politique que sont effectivement le rapport peuple-élite/s ou le « bon gouvernement ».

    Thibault Isabel : Les journalistes et les politiciens, depuis quelques années, opposent volontiers un camp mondialiste à un camp souverainiste, assimilé au populisme. Estimez-vous que nous soyons en train de voir émerger un nouveau clivage, qui viendrait en quelque sorte se substituer au vieux clivage gauche-droite ? A contrario de cette hypothèse, on pourrait aussi constater que l’opposition gauche-droite n’a pas entièrement disparu, et qu’elle contribue même beaucoup aux dissensions internes entre « populistes » – alors que le camp mondialiste semble marcher en bon ordre de bataille et se retrouve apparemment autour de bases idéologiques plus claires.

    Olivier Dard : Vaste question, fort actuelle si on en croit certains épisodes récents à commencer par la convention de la droite. Je ne m’étendrai pas sur le débat, déjà ancien, de l’obsolescence supposée du clivage droite/gauche et me contenterai de rappeler que droite et gauche ne sont pas des essences et ont pu voir leurs contours évoluer avec le temps. Evolutions et mutations qui ne signifient nullement que ce clivage est historiquement inopérant, bien au contraire.

    Je dirais plutôt que ce qui caractérise la scène française et même européenne, si on observe par exemple le fonctionnement du parlement européen et la majorité qui le structure, c’est que les partis de gouvernement partagent, pour l’essentiel, une vision commune des choses. Ces forces politiques s’entendent sur la défense et la pérennisation d’un système en place qui leur paraît la seule voie possible. En France, c’est ce qui a fondé le programme macroniste et l’arc gouvernemental d’En marche, qui a littéralement siphonné le parti socialiste et pour une bonne part les Républicains. La force de ce bloc central est d’être sans opposition véritable pour lui contester sa capacité à gouverner.

    Ainsi, la faiblesse des forces populistes repose en France sur une double carence. La première est leur impossibilité à s’entendre pour contourner le centre gouvernemental par la périphérie, comme l’a fait un temps en Italie la coalition Lega/Cinq étoiles. Assurément, si la Lega n’est pas sans faire penser au RN, Cinque Stelle a peu à voir avec LFI. Mais c’est sans doute aussi parce qu’en France le clivage droite/gauche a laissé des traces, et parce que la définition même du peuple entre le RN et LFI est chargée d’une forte teneur idéologique qui agit comme une pesanteur interdisant tout rapprochement – une donnée qui contredirait ainsi l’idée de la mort du clivage droite/gauche comme celle que le populisme serait vide de contenu idéologique.

    Il faut y ajouter un autre élément renvoyant à la difficulté des populistes à dépasser le stade de la dénonciation pour passer à celui de la proposition crédible. Proclamer sa volonté de gouverner est une chose. Mettre au point un programme de gouvernement en est une autre. Il faudrait d’ailleurs que des forces populistes, souvent associées dans les médias pour leurs convergences, parlent d’une même voix. Or, les différentes formations populistes européennes, notamment marquées à « droite », si elles peuvent partager des positions communes sur la question des migrants ou celle de la menace islamiste, n’ont pas les mêmes visions, en particulier en matière économique ou géopolitique. Une divergence majeure avec leurs adversaires au pouvoir.

    Olivier Dard, propos recueillis par Thibault Isabel (L'Inactuelle, 9 octobre 2019)

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  • Les faux rebelles de la culture...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jean-Sébastien Bressy, cueilli sur le site de L'Inactuelle, revue d'un monde qui vient, animée par Thibault Isabel.

    Pour aller plus loin sur le sujet, on pourra lire l'essai de Joseph Heath et Andrew Potter, Révolte consommée : Le mythe de la contre-culture (Naïve, 2005).

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    Un "rebelle institutionnel" en une de M, le magazine du Monde (6 juillet 2018)

     

    Les faux rebelles de la culture

    La création et l’originalité vont de pair ; la plupart des artistes brillent donc évidemment par leur forte personnalité, voire leur anticonformisme. Mais, d’une époque à l’autre, cette singularité s’exprime selon des modalités très différentes.

    Autrefois, disons jusqu’à la Révolution industrielle et l’avènement historique de la bourgeoisie, l’artiste tentait d’affirmer librement sa personnalité dans la société qui était la sienne, et, s’il en assumait les risques – puisque la justice des puissants lui en faisait parfois payer le prix –, il ne remettait pas en cause les principes de cette société. Il en acceptait les codes, et l’idée de les contester ne lui traversait pas l’esprit. Il pouvait passer pour une forte tête, un excentrique ou un original, mais il inscrivait sa différence dans un « monde commun » (pour employer l’expression de Hannah Arendt), un monde parfaitement cadré et normé qui semblait inébranlable. Cela valait par exemple pour Villon, Le Caravage, Mozart…

    Au XIXe siècle, surgissent les artistes « révolutionnaires » : l’art devient politique, la société n’est plus acceptée telle qu’elle est, elle peut être repensée et reconstruite selon l’idée que les uns ou les autres s’en font. L’artiste se dresse « contre » l’ordre social, il est prêt à l’affronter, à le défier pour établir un ordre plus juste (Beethoven, Vallès, Courbet, ou plus récemment Aragon, Picasso, Neruda sont des artistes « politiques » ou révolutionnaires).

    L’irruption du “rebelle”

    Mais l’époque post-moderne marque un tournant majeur dans cette évolution, avec le développement de la figure du « rebelle » : l’artiste ne s’affirme plus au cœur de la société comme « l’original », il ne veut plus la changer comme le « révolutionnaire » ; il s’en fout ! Il la rejette par principe et entend s’y soustraire. Le « rebelle » agit avant tout pour son propre compte.

    L’émergence de ce personnage est patente depuis des décennies : les romans de Céline mettaient déjà en scène des héros centrés sur eux-mêmes, désocialisés, et la littérature américaine (Burroughs, Kerouac ou Salinger) a très largement accompagné cette tendance de fond, sans parler de films tels que Les Valseuses, Orange mécanique ou Into The Wild. Si l’on se penche sur la culture populaire, de Renaud à Michel Polnareff, on constate que la société est souvent considérée de façon explicite comme le mal absolu dont il convient à tout prix de se défaire (« Société, tu m’auras pas », chantait Renaud).

    Or, « la société, ça n’existe pas » (« there is no such thing as society »)… N’est-ce pas en tout cas ce qu’affirmait Margaret Thatcher ? N’est-ce pas le cœur du projet politique et économique qui prévaut depuis la fin du XXe siècle ? Les artistes « contestataires » ont fait le lit du capitalisme qu’ils prétendaient combattre ; et ils continuent de l’entretenir en affichant une rébellion qui n’en est plus une. Quand la rébellion est encouragée par les discours publicitaires, politiques, médiatiques, elle n’a plus de sens. Dès lors que Renaud décrit son pays peuplé de cinquante millions de cons (« Hexagone »), il n’est déjà plus très loin de considérer que ces cons n’ont pas droit à la parole, que le pouvoir doit s’exercer sans eux et que tout individu a intérêt à se renfermer dans sa petite bulle ou sa petite communauté. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que, quarante ans après avoir écrit sa chanson, Renaud soutienne la candidature de Fillon, puis celle de Macron. A certains égards, il reste cohérent avec ce qu’il a toujours été… Simplement, il ne le savait pas. Il n’avait pas les idées qu’il croyait avoir, pour reprendre la formule de Brassens. Johnny Hallyday, sans doute par instinct naturel, adoptait quant à lui un comportement plus logique, puisqu’il affichait à la fois une forme de rébellion bon teint contre la société et un soutien indéfectible aux pouvoirs dominants.

    C’est la négation de la société qui caractérise l’artiste rebelle, quand tous les autres jusqu’à lui, qu’ils soient « originaux » ou « révolutionnaires », prenaient cette société en considération, que ce soit pour y adhérer ou pour la rejeter. On voit bien aussi à travers ce constat que la société ne saurait se confondre avec la masse, qui définit au contraire l’état du monde présent et de ce qui lui tient lieu d’« art » : selon Hannah Arendt, la masse est faite « d’individus atomisés et isolés », elle se développe précisément lorsque la société se dissout. Dissolution sociale, massification : nous en sommes bel et bien arrivés là !

    Les élites contre le peuple

    Pourtant, la culture de masse n’est pas seule en cause. La fausse rébellion s’applique à nombre d’artistes contemporains dits « élitistes », pour lesquels la négation de la société définit apparemment le sens même de leur travail et du message qu’ils entendent délivrer : « Rien n’existe hors de moi, de ce que je ressens, de ce que j’exprime… » Leur démarche esthétique aboutit volontiers à la vacuité la plus abyssale, au non-sens ou à l’escroquerie clairement assumée. En niant la société, le rebelle se place sur orbite, se détache du « sens commun » ; il est exclusivement centré sur lui… c’est à dire qu’il n’est centré sur rien. Tel l’astronaute dans l’espace gesticulant en tous sens, il se croit libre, mais il ne peut aller nulle part, faute de prendre appui sur un point fixe et extérieur à lui-même.

    Certes, une autre culture subsiste toujours dans la quasi-clandestinité. Mais la culture « officielle » d’aujourd’hui, qu’elle s’adresse à la masse ou à une soi-disant élite, reste semblable à l’économie ou à la politique du temps ; elle se situe délibérément à l’écart d’un monde commun ou d’une société qu’elle ne cesse de désagréger, de « fluidifier », afin de lui enlever toute capacité de résistance, toute valeur esthétique ou morale susceptible d’être érigée contre le système dominant. Si tout se vaut, tout peut se vendre – à n’importe quel prix ! Nous voilà plongés dans l’univers cynique qu’Oscar Wilde définissait avec aplomb : « Le cynisme ? C’est connaître le prix de tout et la valeur de rien. » Dans ce projet, et souvent à son corps défendant, l’artiste rebelle joue son rôle, du côté du pouvoir, contre la société. C’est ainsi que la reine d’Angleterre anoblit désormais les rockers… Le silence assourdissant des artistes français du « show-business » concernant le mouvement des gilets jaunes ne laisse aucune ambiguïté sur la nature de leur rébellion. Elle s’inscrit dans le cadre de la « révolte des élites » que Christopher Lasch analysait déjà il y a cinquante ans.

    Pour voir au-delà des figures de « l’original », du « révolutionnaire » ou du « rebelle », trop réductrices, c’est peut-être vers Albert Camus qu’il faut se tourner, avec son évocation de l’artiste révolté. Le vrai révolté souhaite changer le monde, contrairement à « l’original » ; mais, s’il veut que la société évolue, il ne la condamne pas en tant que telle, et il ne s’affirme pas contre elle, à l’inverse du « révolutionnaire », ni hors d’elle, à l’inverse du « rebelle ». Il porte sa révolte à l’intérieur de la société.

    L’œuvre d’art ne doit pas être une pure construction de l’esprit. Elle doit entretenir un rapport charnel avec les hommes, en lien avec le monde dont elle est issue. Elle doit s’appuyer sur un inconscient collectif qui l’a précédée, et qu’elle contribuera en retour à enrichir. Quelle que soit l’époque à laquelle ils appartiennent, les artistes les plus estimables se conforment toujours à ce modèle : ils n’opposent pas la révolte individuelle à la société, mais tentent de les réconcilier. En nos périodes troubles où les pouvoirs vacillent, il est fort à parier que c’est dans cette voix intemporelle, loin de la « rebellitude » contemporaine, que les artistes révoltés écriront l’histoire de demain.

    Jean-Sébastien Bressy (L'Inactuelle, 28 décembre 2018)

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  • Nature ?...

     Le numéro 49 de la revue Krisis, dirigée par Alain de Benoist, avec pour rédacteur en chef Thibaut Isabel, vient de paraître. Cette nouvelle livraison est consacrée à la nature...

    Vous pouvez commander ce nouveau numéro sur le site de la revue Krisis ou sur le site de la revue Eléments.

    Bonne lecture !

     

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    À la question de la conciliation de la croissance et de l’écologie, la réponse devrait apparaître évidente à toute personne sensée : une croissance infinie est incompatible avec une planète finie. Cependant, cette évidence qu’un enfant de 5 ans comprendrait, il semble que les responsables politiques et économiques ne peuvent ni ne veulent la comprendre. Elle fait l’objet d’un déni de leur part à tous, à l’exception notable, récente et limitée du Pape François, mais il est vrai qu’il s’agit d’un chef de gouvernement sans responsabilités proprement politiques – sa responsabilité est d’abord religieuse, et le Vatican est un État sans territoire et ne faisant pas partie de l’organisation des Nations-Unies. La plupart des responsables, y compris voire surtout les ministres de l’Environnement, se gargarisent de l’affirmation de la compatibilité de l’économie et de l’écologie, en soulignant même parfois la racine grecque commune des deux termes. Cela permet de contourner, mais de façon purement rhétorique, une «vérité qui dérange» pour le dire comme l’ex-vice-président Al Gore à propos du seul changement climatique. Il n’empêche qu’il y a incompatibilité radicale entre la logique de la société de croissance – et donc de l’économie – et l’impératif écologique; cependant, le déni de cette incontournable vérité dérangeante, quand il n’est pas affiché frontalement, est contourné par toutes sortes de subterfuges comme le développement durable, source de toutes les croissances vertes.

     

    Sommaire

    Serge Latouche / Peut-on concilier la croissance et l’écologie?

    Entretien avec Bertrand Guest / L’idée de nature chez Humboldt, Thoreau et Reclus.

    Yves Christen / Le mystère de la biophilie.

    Alain Gras / Monde animal et monde humain.

    Falk Van Gaver / Pour une éthique du vivant.

    Jean-François Gautier / Aux origines de la «phusis» hellénique.

    Jean Guiart / Témoignage : Nature et culture, des concepts vides et sans fondement.

    Entretien avec Augustin Berque / La catastrophe écologique moderne.

    Jean-François Gautier / Des cosmopolitiques multiples.

    Thibault Isabel / Le respect de la nature comme élévation du sentiment d’exister.

    Entretien avec Jean-Claude Guénot / Le réveil du sauvage.

    Pierre Schoentjes / De la guerre aux années hippies : pacifisme, retour à la terre et écologie chez Exbrayat.

    Alain Sennepin / Le grand cachalot.

    Débat entre Frédéric Dufoing, Thibault Isabel et Falk Van Gaver / Le christianisme est-il éco-compatible?

    Alain Santacreu / L’écosophie à venir.

    Jean-François Gautier / L’espace, le quantique et les oiseaux.

    Les auteurs du numéro

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